« S'installer en couple en lait : notre projet de vie »
« Travailler ensemble au quotidien pour mêler vie professionnelle et de famille » : tout près de Sées dans l'Orne, à Chailloué, Aline et Kevin Lurson ont repris une ferme hors cadre familial pour s'installer en couple en bovins lait. Pour arriver à concilier leur vie pro et perso, ils ont défini dans chacun des domaines des objectifs précis et une organisation claire. La frontière entre les deux n'est cependant pas toujours facile à trouver.
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« Dans les stages préparatoires à l'installation, nous étions les seuls à faire ce choix. La majorité avait des parents exploitants avec lesquels ils allaient s'associer et ne souhaitaient pas continuer la production laitière », se souvient Aline Lurson. Pas de parents, grand-parents, oncles, cousins agriculteurs : la jeune femme n'est pas du milieu agricole. Elle a grandi dans la région parisienne mais a toujours été attirée par l'agriculture, sans savoir « d'où ça vient », et a voulu s'orienter vers des études agricoles.
Une ferme qui corresponde davantage aux attentes
Ses parents, d'abord surpris, l'ont fait patienter jusqu'au lycée pour qu'elle soit sûre de sa décision. « Ils avaient un peu peur » sans doute parce que c'est un monde qu'ils ne connaissaient pas et un métier difficile, en particulier pour une femme, physiquement et moralement, avec des contraintes, une rémunération souvent insuffisante... Ils l'ont cependant « toujours encouragée » à faire ce dont elle avait envie.
Même si le lycée agricole, où elle entre en seconde, se situe à Sées dans l'Orne, à 2 h de route. Elle y obtient un bac STAV production puis un BTS Acse, et y rencontre son futur mari qui y suit le même cursus à une année d'écart, et est fils d'éleveurs. « J'envisageais déjà de m'installer. Quand, comment, je ne savais pas encore », précise-t-elle.
Les clés de réussite, la communication...
« En couple sur deux structures différentes, avec chacune de l'élevage, ce n'est pas gérable », estiment les jeunes éleveurs. La conciliation pro/perso est encore plus compliquée, surtout avec des enfants. Deux exploitations, c'est aussi des responsabilités, des questions, des problèmes en double. « Imaginez au moment des vêlages... » Pour toutes ces raisons, Aline et Kévin décident de s'installer en couple en bovins lait et de chercher une ferme en adéquation avec leurs attentes. Le bouche-à-oreille marche plutôt bien. Le hasard aussi. « Un coup de téléphone, on est venu visiter et on s'est tout de suite projeté », raconte Aline.
Si Aline et Kevin Lurson apprécient de travailler à deux, ils reconnaissent que ce n'est pas toujours facile. La clé de réussite selon eux : la communication. Comme dans les associations entre tiers, parents-enfants, fraterie. Ils ont d'ailleurs été sensibilisés sur ce point lorsqu'ils se sont formés à la mise en société agricole. Ils ont notamment appris quelques astuces qu'ils utilisent au quotidien tels qu'afficher les consignes sur des pancartes, transformer la pause café en temps d'échange, etc. « Il faut aimer partager », résume Kévin. Sa passion de l'agriculture, de l'élevage en particulier. « Si on est tous les deux passionnés, ça doit bien se passer. »
... et l'organisation
« Il est important de discuter de tout », reprend Aline, sans tabou, parler de ce qui va et de ce qui fonctionne moins, voire pas du tout, d'exprimer ses ressentis, ses craintes, ses doutes, et « d'être solides ». Et ne pas hésiter à demander de l'aide si besoin : des formations spécifiques existent, le recours à la méditation est également possible, pour désamorcer les tensions et mieux communiquer. Au Gaec Alvin – Al pour Aline et vin pour Kévin, un mélange des prénoms qui fait écho à celui des sphères pro et perso –, crée en septembre 2023, le bilan des deux premières années d'installation est satisfaisant.
Il faut dire que l'organisation, bien huilée, et les objectifs, pour l'élevage et familiaux, sont partagés et clairement définis. « Le matin, nous trayons de 5h30 à 7h30, pendant que nos filles dorment, pour que l'un de nous au moins soit de retour à leur réveil. Elles ont l'habitude. Des fois, elles se réveillent avant, la grande garde la petite », détaille la jeune femme. « Je tiens à prendre le petit déjeuner avec elles, à les voir avant qu'elles partent à l'école. Ce n'est pas toujours possible mais j'essaie de les emmener régulièrement », poursuit son mari.
Le soir, tout le monde en cote et à la traite !
Même chose pour le goûter. « L'un ou l'autre va les chercher, on goûte avec elles, puis tout le monde en cote, on va aux vaches, à la traite ! », lance Aline. « On saisit chaque petit moment où on peut être ensemble tous les quatre ! », appuie Kévin. Le midi, par contre : la cantine, multiplier les allers-retours ferait perdre trop de temps. Puis à 19 h, le bain, les devoirs, le repas et tout le monde au lit. « Faut pas me demander le nom d'une série télé ou le score d'un match de foot ! », plaisante Kévin. Vu l'heure à laquelle ils se lèvent, les jeunes installés se couchent tôt, après avoir jeté un dernier coup d'œil au troupeau pour s'assurer que tout est OK.
Chacun son loisir et sa responsabilité professionnelle
Le samedi est un jour de travail semblable à la semaine, à une différence près : Johanna et Capucine les suivent sur la ferme. « Le dimanche, nous nous limitons à la traite pour profiter des enfants au maximum », enchaîne Aline. Le couple ne les met au centre aéré qu'un mercredi sur deux. « Lorsqu'elles n'y sont pas, nous faisons en sorte que ce soit une journée plus calme : un tour des bêtes le matin pour que, l'après-midi, les filles puissent jouer tranquille à la maison, sans avoir à ressortir, à part en soirée pour le patin. »
Pour les exploitants, il est important qu'elles aient une activité extrascolaire comme la plupart de leurs camarades, et que ce soit eux qui les accompagnent. « Même si nous ne sommes installés que depuis deux ans, nous avons pris une étudiante de notre ancien lycée pour traire. Nous nous efforçons, nous-mêmes, d'avoir un loisir » pour couper un peu avec le métier d'éleveur, prenant, et la ferme. Un loisir propre à chacun, chasse pour lui et pilates pour elle, puisqu'ils sont tous les deux 24 h sur 24, 7 jours sur 7.
Ils parviennent aussi à se libérer pour leur engagement professionnel, un chacun également, veillant à l'équité là encore. Lui est au bureau de la petite Cuma que présidait son cédant, elle à celui du Service de remplacement, où elle était embauché pendant son BTS. Les producteurs n'arrivent pas pour autant à se faire remplacer facilement, du fait de la pénurie d'agents. De plus, ils ont du mal à laisser leur exploitation. « C'est du vivant », arguent-ils. Ils n'ont pris qu'un ou deux jours de repos par ci par là, en la confiant à quelqu'un de la famille.
Habiter sur place : « indispensable »
« L'avantage de notre profession, on peut assez facilement prendre une demi-journée si on le souhaite », reconnaît Kévin. Une fois qu'ils seront en rythme de croisière, ils aspirent à de vraies vacances, peut-être en recrutant un salarié. « La nouvelle génération veut du temps libre, insiste Kévin. Nos filles doivent pâtir le moins possible de notre métier. Alors nous simplifions au maximum le travail. » « En reprise familiale, certains n'anticipent toutefois pas suffisamment le départ en retraite leurs parents et le jour où ils devront tout assumer seul », fait-il néanmoins remarquer.
Je ne veux pas que mes filles pâtissent de notre métier d'éleveur.
De plus en plus de jeunes installés optent pour une maison d'habitation en dehors du corps de ferme. Pour Aline et Kévin, habiter sur place est impératif pour s'organiser comme ils nous l'ont expliqué plus haut, et être fidèles à leur projet de vie où famille et travail sont intimement liés. Impossible sinon de traire pendant que les enfants dorment, d'aller les chercher à l'école, d'être là pour le goûter, et aussi rapidement près des animaux en cas de problème.
« Loger en dehors de l'exploitation, on a testé pendant le stage de parrainage, c'est impossible à gérer », tranchent-ils. Concilier vie pro et perso ne signifie pas réussir à séparer les deux, pour que le professionnel n'empiète pas trop sur le privé. « On essaie mais ce n'est pas toujours simple, indiquent-ils. Les soucis à la ferme ressurgissent vite à la maison le soir. »
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